Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Je raconte tout
14 octobre 2015

Le droit à la filiation

Vendredi 19 juin dernier, le procureur général, dans deux affaires concernant des enfants nés du recours à une gestation pour autrui en Russie, requérait devant la cour de Cassation que l'inscription à l'état civil de ces derniers se fasse sur la base de l'établissement d'un lien biologique. Si la Cour de Cassation suivait cette réquisition d'établir la filiation paternelle sur la base d'un test génétique, une telle décision signifierait un changement majeur dans la manière de faire et de penser la filiation en France. Plus concrètement, qu'est ce que cela signifie ? Dans le cas où les deux parents, une femme et un homme, auraient contribué génétiquement à la conception d'un enfant et auraient eu recours à une femme pour porter cet enfant, le lien biologique du père serait reconnu mais pas celui de la mère car elle n'a pas accouché. Dans les situations où deux parents hétérosexuels, auraient fait appel à une femme pour porter leur enfant, mais auraient aussi sollicité une donneuse d'ovocyte pour suppléer la mère d'intention et d'exercice, il n'y a bien entendu de lien génétique qu'avec le père. Un acte de naissance par exemple établi sur le sol américain par un juge, et qui inscrit l'enfant dans la filiation de ces deux parents, ne ferait alors l'objet que d'une transcription partielle. Le père resterait le père, mais l'enfant perdrait sa filiation avec la mère. Même chose pour un couple d'hommes, dont un seul peut, à l'évidence, être le géniteur de l'enfant. L'autre père, pourtant parfois présent sur l'acte de naissance américain ou canadien de l'enfant disparaîtrait alors de l'état civil de son enfant. Dans tous ces cas, la décision de n'établir la filiation paternelle que sur la base d'un test génétique mettrait en évidence la contradiction entre un état civil étranger qui reconnaît bien à l'enfant ses deux parents et un état civil français qui ne lui en reconnaîtrait alors plus qu'un seul. Mais ce n'est pas tout. Quid des grands-parents, des oncles et des tantes du côté du parent dépourvu de lien génétique avec l'enfant? En-dehors du couple de parents, fût-il hétérosexuel ou homosexuel, c'est aussi la famille élargie de l'enfant qui le reconnaît comme un de ses membres à part entière. Si la Cour de Cassation suivait l'avis du Procureur général, alors l'enfant ne serait plus leur petit-fils ou petite-fille, leur neveu ou nièce, leur cousin ou cousine ? Une autre question se pose. Et pour cela, il nous faut regarder la manière dont s'établit la paternité lorsqu'un couple hétérosexuel recourt à une assistance médicale à la procréation avec don de sperme. Dans ces situations, le père intentionnel reconnaît de manière anticipée l'enfant qui sera issu de la fécondation, et ce, en dépit du fait que chacun sait qu'aucun lien génétique ne le reliera à lui. Un choix qui n'a rien d'étonnant puisqu'il correspond aux logiques d'établissement de la paternité dans notre société. En effet, les hommes deviennent pères, indépendamment de la preuve génétique, grâce à la présomption de paternité dans le cadre du mariage ou de la reconnaissance. D'un côté, dans le cadre de l'assistance médicale à la procréation avec don de sperme, la paternité est établie de manière certaine en l'absence de lien génétique. D'un autre côté, dans le cadre des naissances consécutives à une GPA (considérée elle aussi comme une technique médicale d'assistance à la procréation par l'Organisation Mondiale de la Santé) la seule preuve d'un lien via un test ADN se substituerait à la logique élective, jusqu'ici pourtant la norme dans l'établissement de la paternité dans notre pays. Le traitement juridique de ces récentes affaires permet ainsi de prendre la mesure de l'instabilité des conceptions du lien de filiation et, par conséquent du lien à toute la parenté. Loin de se faire la traduction d'une "véritable" filiation déterminée par la possibilité nouvelle d'en faire la preuve grâce à l'introduction des tests génétiques, le droit prescrirait ici un lien à géométrie variable en fonction des modes de conceptions. Or, la variabilité des décisions relatives à ce lien témoigne bien du fait qu'il est essentiellement une construction sociale.

Publicité
Publicité
Commentaires
Je raconte tout
Publicité
Archives
Publicité