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5 juillet 2016

Conférence Berlioz

Berlioz, en tête du dernier volume publié avant sa mort, A travers chants, a reproduit un article qu'il avait écrit une vingtaine d'années auparavant. Il y définit la musique et cherche à déterminer quelshommes sont en état de la comprendre. «Musique, dit-il, art d'émouvoir par des combinaisons de sons les hommes intelligents et doués d'organes spéciaux et exercés.» Pour sentir la musique, il faut donc remplir trois conditions: il faut être un homme intelligent, ce qui suppose que tous les hommes ne le sont pas, en exceptant même les idiots et les aliénés; il faut ensuite avoir des organes spéciaux, et il faut que ces organes soient exercés. Berlioz exclut même les hommes ayant appris la composition musicale, mais «produisant des œuvres qui répondent en apparence aux idées qu'on se fait vulgairement de la musique et satisfont l'oreille sans la charmer et sans rien dire au cœur ni à l'imagination. Ces producteurs impuissants, ajoute-t-il, doivent encore être rayés du nombre des musiciens, ils ne sentent pas.» On ne peut guère s'étonner de voir Berlioz terminer sa dissertation en traitant la musique des Orientaux comme n'étant rien autre chose qu'un bruit grotesque analogue à celui que font les enfants dans leurs jeux. Berlioz s'est donné de la peine, en pure perte, pour déterminer quels sont les hommes qui sentent réellement la musique et quels sont ceux qui ne la sentent pas. Il serait bien difficile, sinon impossible, de définir où s'arrête le simple plaisir que la musique donne à «l'oreille» et où commence l'impression faite sur le «cœur». Quant à l'imagination, la part qu'elle y prend ne prouve absolument rien; elle peut fort bien être mise en jeu chez des personnes, des poètes ou des peintres, par exemple, qui, pour tout le reste, sont à peu près insensibles à la musique. Berlioz décrit les effets violents qu'elle produisait sur lui-même; mais il s'agirait de savoir quelle part la physiologie, et peut-être la pathologie, peuvent y réclamer, car tout le monde connaît l'extrême impressionnabilité ou irritabilité de l'auteur de l'Épisode de la vie d'un artiste. Les gens qui ne goûtaient point ses œuvres, ni même celles de Beethoven, ne pouvaient être traités comme incapables de «sentir la musique»; ils pouvaient alléguer que «leurs organes spéciaux n'étaient pas encore assez exercés». Grâce à l'institution des concerts populaires de musique classique, fondée en 1861 par Pasdeloup, le goût de la musique symphonique, ou ce qui est tout un, l'intelligence pour la comprendre, s'est développée considérablement; en même temps la mort de Berlioz a fait tomber les préventions que beaucoup de gens nourrissaient contre lui, sans jamais avoir recherché si elles étaient fondées. Emporté par ses impressions personnelles, Berlioz ne brillait pas toujours par la logique dans sa conduite; s'il avait été conséquent avec lui-même, il ne se serait pas laissé aller au découragement qui, dans les dernières années de sa vie, a aggravé son état maladif et hâté sa mort. Il se serait dit, que ce n'était ni sa faute ni celle de la majorité du public français, si cette majorité ne possédait pas «des organes spéciaux assez exercés». Peut-être, s'il avait pris courage et s'il avait eu la patience d'attendre, aurait-il assisté au revirement dont j'ai parlé; j'hésite cependant à le croire, tant est grande la force des préjugés; la mort de Berlioz était presque indispensable pour les faire tomber. A lire sur le site Organisation de Séminaire.

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